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L'Immaculée Conception

Chapitre 9 Mohamed

Chapitre 9

Mohamed peint. Ce matin de dimanche, très tôt, en même temps que les premières lueurs du jour par-dessus l’Hirmenthaz, il s’est réveillé plein d’images et de sensations confuses. Sans bruit, il a laissé Dominique endormi. Il a écouté la pluie sur les tuiles de l’abri, juste sous la fenêtre de la chambre. Il est descendu à la cuisine se faire un expresso et a vite rejoint son atelier, après avoir revêtu une djellaba dans la salle de bain. Il a uriné, il aime entendre son jet dans l’eau de la cuvette. Cela lui donne comme une impression de force. Dominique se moque de lui pour cela, comme si c’était une affirmation juvénile de sa virilité. Il s’est lavé son sexe circoncis. Dans l’atelier, il faisait très frais. Il a poussé le chauffage au maximum. Il avait l’impression d’avoir partagé le rêve d’un autre humain. Un enchevêtrement de lignes droites et courbes, de bâtiments, de neiges palpitantes, de lumières mobiles, de sommets glacés, de dunes fluides ; un enchevêtrement de sentiments et de sensations : désir, envol, peur de la chute d’Icare, bruissements d’ailes. C’est tout cela qu’il essaie de traduire avec des formes, des couleurs, des effets de matière sur sa toile. Il cherche, il cherche le sens, le dessein. Il ne sait pas où il va, il ne le sait pas encore. Il arrête épuisé, comme mécontent. C’est de la merde ce qu’il a fait, ça ne ressemble à rien. Il repense à Frennhofer, à la folie de Frennhofer, au pied de la Belle Noiseuse, comme toujours lorsqu’il ne sait pas encore ce qu’il va produire. Il s’approche de la fenêtre. La pluie a cessé, un timide soleil d’hiver éclaire le paysage de pâtures et de bosquets, qui montent là-haut jusqu’aux replans, en contrebas de la pointe de Miribel. Il sort sur la terrasse pour s’immerger dans la lumière toute pâle, comme tremblante. Devant lui, de l’église de Villard jusqu’à Torchebise, un magnifique arc-en-ciel, simple, qui palpite à ses yeux. Il se sent comme cloué sur place, dans l’humidité froide de la terrasse encore dans l’ombre. Ca sent le froid et le gel. Son père. C’est comme si son père était là et qu’il lui disait quelque chose, en un arabe qu’il ne comprend pas. Son père qui n’est jamais revenu d’Algérie, où il était parti pour l’enterrement de l’oncle Mouloud. Son père disparu. C’était quoi, son mystère, son secret ? Mohamed rentre dans l’atelier. Il reprend ses pinceaux. C’est l’arc-en-ciel qu’il faut recréer. Il a besoin aussi de faire apparaître un visage irradié de lumière, à travers les tâches de couleur, comme en transparence. C’est celui de Marie Vennoz. Il s’arrête. Pourquoi ce visage-là ? Pourquoi cette femme-là ? Pourquoi une femme. Il cherche le CD de Jimmy Oihid, l’album « One 2 free ». La chanson n°10. « Yawaldine, Enfant, ne l’oublie jamais. Pas de pleurs, pas de larmes, oh soyez rassurés, cher papa, chère maman. » La voix éraillée de Oihid, l’arabe boiteux, sur une guitare électrique. Il range son matériel, il terminera sa peinture plus tard. Il est comme épuisé. Il rejoint la chambre encore obscure derrière les doubles rideaux fermés. Le jour transparaît voilé, comme bleuté. La chambre tiède du corps endormi de Dominique. Il enlève sa djellaba. Nu, il se blottit contre le dos de Dominique qui s’éveille à son contact.

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