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HEUREUX LES MISERICORDIEUX

Heureux les miséricordieux : il leur sera fait miséricorde.

Bernard,

Oui Bernard, c’est moi qui suis à l’origine de ta chute. Quand j’ai découvert sur l’ordinateur ce que tu y faisais le soir, quand j’ai vu ces photos révoltantes avec des enfants qui ont l’âge des nôtres, Bernard, je ne pouvais pas ne rien dire, ne rien faire. J’ai réfléchi longtemps. J’ai téléphoné pour dire que je n’allais pas travailler, je me suis promenée dans la campagne tout le matin, je suis repassée par Ottignies, j’ai revu la maison de mon enfance, la grange où nous avons fait l’amour la première fois. Je suis allée aussi au cimetière de Cantin, pour me parler, à moi-même, sur la tombe de mes parents. A 14 heures, j’ai téléphoné à la gendarmerie. Ils sont venus à la maison, ils ont vu ce qu’il y avait sur ton ordinateur, ils m’ont dit qu’il fallait qu’ils le saisissent. Ils étaient à la fois présents et distants, courtois et froids. Je lisais dans leurs yeux que j’étais déjà une paria de la société, la femme d’un pédophile. Je me suis arrangé avec la voisine pour les enfants à leur retour de l’école : ils m’avaient demandé de les accompagner à la gendarmerie. Je ne sais pas comment cela s’est passé exactement pour toi ; j’ai cru comprendre qu’ils t’ont arrêté à l’hôpital. Je leur avais dit que tu terminais ton service à 21 heures.

Le pire, ce ne sont pas les images. Non, sauf celle de la petite fille attachée avec des liens rouges. Non, le pire pour moi, c’était les messages, les tiens et ceux que tu recevais.Comment as-tu pu écrire, as-tu pu penser, échanger de pareilles horreurs ? Et puis le sentiment d’avoir été flouée de nos quinze ans de vie commune, d’être salie de tous les instants de tendresse et d’amour que nous avons connus. Comment pouvais-tu me faire l’amour, alors que ta tête, ton coeur étaient pleins de ces choses immondes ? Pensais-tu à ces enfants en me faisant l’amour ?

L’incroyable, c’est que tu aies laissé ton ordinateur allumé et accessible : c’est en déposant une facture sur le bureau, que j’ai touché la souris et que l’écran a quitté sa veille. Comment se fait-il que tu aies laissé tout comme cela ? Que s’est-il passé hier soir que tu aies oublié de cacher cette puanteur ? Cela aurait pu durer longtemps encore. J’avais confiance en toi. Tu te montrais un bon mari, un bon amant, un bon père. Ou alors, c’est quelque part dans ta tête, tu voulais me le dire, tu voulais que cela se sache ? Tu savais que je n’aurais pas pu ne rien dire, ni ne rien faire.

Parfois je me dis que je vais me réveiller, que tout cela n’est qu’un cauchemar. Et puis la réalité est là, qui me rattrape : ma déposition à signer, les enfants qui se demandent où tu es et pourquoi nous sommes allés chez Françoise, le regard des autres. Je repense à ma mère, lorsqu’elle a découvert que son père avait été un SS tortionnaire. Je repense à sa vie brisée, à sa honte d’avoir aimé ce père. Il faut que je me protège, Bernard, il faut que je protège les enfants. Je ne sais pas encore ce que je vais devoir faire. Je suis soulagée de ne pas te voir, là maintenant. Je ne sais pas si je supporterais de te revoir. Je ne sais pas comment je réagirais à ta présence, à ton regard. Je ne sais même pas si tu m’en veux, si tu nies, si tu es en colère, ou au contraire, si tu es soulagé. Je ne sais pas ce qui va t’arriver, ce qui va nous arriver. Je ne sais pas si tu auras connaissance de cette lettre, que je vais déposer pour toi à la gendarmerie. Sans doute sera-t-elle lue ?

Oh Bernard, pourquoi nous as-tu fait cela ? Et tes parents, qu’est-ce que je vais leur dire ? Bernard, c’est moi qui suis en colère, contre toi, pour avoir fait ce que tu as fait, pour tous ces gosses sur les photos ; contre moi, pour n’avoir rien deviné, rien vu, pour avoir été l’instrument de notre chute ; contre cette société de merde, qui laisse arriver de telles saloperies.

Je t’en prie, Bernard, au nom de tout ce que nous avons vécu ensemble, au nom de nos deux enfants (souviens-toi de leur venue au monde !), repens-toi, corrige-toi, soigne-toi .


Aline

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