

SCULPTURES & ECRITURES BUISSONNIERES
La pureté est le pouvoir de contempler la souillure (S Weil)
Histoire de la céramique Floquet de Neu
Floquet de Neu
Passionné par les hominidés, j’ai pris l’habitude de surfer sur internet à la recherche d’informations les concernant, et notamment de récits et d’histoires, ainsi que de photographies et illustrations, pour nourrir mon inspiration de sculpteur.
C’est ainsi qu’en juillet 2013, chez un ami potier, j’ai modelé une tête de gorille et une autre d’orang outan. Pour ce faire, j’ai utilisé une terre ocre non chamottée, que je n’utilisais pas habituellement.
Ayant quelques doutes sur la qualité de cette terre, je n’ai pas osé cuire (biscuitage) rapidement les deux têtes ; la cuisson a eu lieu en février 2014. Ce biscuitage s’est très bien passé : aucune casse.
Mes doutes ont perduré toutefois pour la cuisson d’émaillage, ce qui m’a conduit à opter pour la solution sans seconde cuisson, qu’est le “patinage”. Pour la tête de gorille, j’ai utilisé un produit d’entretien des buses et coudes, permettant de raccorder un poêle à bois ou à charbon au conduit de cheminée. Le résultat ne m’a pas enthousiasmé alors…
En novembre 2015, je tombe sur plusieurs documents consacrés à Floquet de Neu (Flocon de Neige), le seul gorille albinos connu à ce jour. Né en 1964 et originaire de Guinée équatoriale, il est arrivé au jardin zoologique de Barcelone en 1966. Il y vécut jusqu’en en 2003, l’année de sa mort. Au cours de toutes ces années, il était devenu un animal fétiche et un emblème de Barcelone. Il a été le père de 21 enfants, avec 3 femelles différentes. Adulte, il pesait 187 kg pour 1,6 3m de hauteur.
Sa vie a fait l’objet de créations artistiques (peinture, photographie, sculpture, littérature, film). Ses cendres ont été rassemblées dans une urne Bios, dans laquelle a germé une graine de marronnier du Cap…
A voir ses photos, je repense à mon gorille noir en attente.
Je me sens aussi en résonance avec Floquet de Neu, avec sa singularité ; comme si son histoire était une métaphore de celle de chacun d’entre nous, un antidote à la vanité de la condition humaine, de notre orgueilleux intellect, un rappel des contingences du corps et du coeur, la réminiscence de l’âme oubliée de l’animal … Comme si sa propre histoire interrogeait aussi celle des albinos humains ...
Je décide alors de “dépatiner” ce gorille noir afin de pouvoir l’émailler :
chair d’albinos et poil blanc.
Je décide encore d’utiliser l’émaillage raku, pour que les craquelures témoignent de la souffrance, soient le signe de l’organique dans la terre, du vivant dans l’inerte.
Cet émaillage a eu lieu un week-end de novembre 2015. L’anonyme gorille noir s’est transformé en Floquet de Neu.
Quelques jours plus tard, j’étais chez Luis B., sculpteur, céramiste et fondeur de bronze : je voulais comprendre in situ le coulage du bronze. Luis proposait quelques jours d’initiation.
A la pause du midi, devant nos sandwiches, nous avons commencé à échanger sur nos expériences, sur nos vies. Lorsque j’ai appris qu’il était catalan, originaire de Barcelone, je lui ai parlé de la tête de Floquet de Neu, que je venais d’achever. Luis connaissait bien notre gorille : petit, à Barcelone, il allait le voir souvent, au zoo, avec son grand-père …
Dans les circonvolutions de mon cerveau, j’ai ressenti alors comme des portes qui s’ouvraient, illuminant à la fois les jours passés et les heures à venir, les faisant vibrer ensemble, à l’oreille, à l’oeil, au goût, au toucher, à la senteur !
Et puis, Floquet de Neu a attendu à Paimpol qu’un humain l’adopte, ce qui s’est fait dernièrement.
La Harmoye, le 11 mai 2018







