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Pourquoi les Consolations ?

A la sortie de l’adolescence, dans les années 68/69, un soir, seul, chez mes parents où j’étais rentré pour des vacances, j’ai regardé une dramatique anglaise ou scandinave, adaptée en français et diffusée par la télévision belge. Je n’ai gardé en tête, ni le titre exact, ni l’auteur, ce qui fait que je ne l’ai jamais retrouvée sur Internet … Par contre, j’ai encore en tête, presqu’un demi-siècle plus tard, le scénario, plusieurs images et un titre approximatif, qui ne m’a conduit à rien dans mes recherches ultérieures (Seul comme dans sa famille).


Il s’agissait de l’histoire d’une famille ouvrière : le père, la mère, la fille, le fils. La pièce raconte quatre fois la même journée, mais à chaque fois, du point de vue de l’un des quatre membres de la famille. La journée met en exergue la solitude de chacun au sein même de la famille et se termine par le suicide de la mère.


A l’époque, j’avais été très étonné par la relativité des points de vue et l’éclairage successif, complexe et très dense de la personnalité de chacun des protagonistes.


C’était une famille où chacun vivait sans consolation.

Bien plus tard, j’ai découvert l’opuscule des éditions Acte Sud contenant le très beau texte “Notre besoin de consolation est impossible à rassasier”, de Stig Dagerman. J’ai lu ce texte en sachant ce qu’il était advenu de Stig Dagerman (il s’est suicidé en 1954, deux ans après la parution de “Notre besoin de consolation … “). J’ai lu et relu ce texte de Dagerman, et relu encore, avec peine et compassion, tout empli de tristesse, pour lui qui ne trouva pas de consolation, et animé d’un besoin de consoler les êtres autour de moi, ce qui n’était alors sans doute qu'une voie sublimée d’auto consolation, d'apitoiement égocentré.


Dans les années 90, j’ai aussi appris la mort par suicide de Bettelheim, à l’âge de 86 ans. L’annonce de sa mort, les modalités de son suicide m’ont fait relire son parcours de vie avec tristesse, comme si son suicide venait discréditer tout ce à quoi il avait consacré sa vie … Bettelheim mort solitaire et sans consolation.


A l'inverse, la mort de mon père, consolé, consolant, entouré des siens. Quelques minutes avant son trépas, il s'est tourné vers ma mère et lui a demandé s'il l'avait rendue heureuse. Ils se sont ensuite étreints, puis il nous a regardés, chacun d'entre nous, avant son dernier souffle. Presque une scène à la Greuze … Comme si nous l'avions consolé de son départ, comme s'il nous consolait par avance de notre deuil ...


Au cours d’un déplacement professionnel à Madagascar, dans une banlieue d’Antananarivo, au lever du soleil, j’ai croisé un vieux malgache, qui a souhaité engager la conversation. Quelle honte en moi quand je l’ai entendu regretter le temps de la colonisation française, quand les routes étaient entretenues, lorsque la vie était meilleure ! Me sont revenus alors le visage des enfants mendiants à l’aéroport d’Hivato ou dans les rues d’Antananarivo, le visage des écoliers dans les écoles de brousse … Mon sentiment de compassion, mon désir de consolation me sont apparus vains, inutiles, déplacés.


Ce sont ces expériences, et plein d’autres petites scènes anecdotiques, microscopiques du quotidien, qui m’ont amené à créer des talismans de consolation : comment, pour chacune de mes “Consolations”, créer avec de la terre et de l’émail, un objet d’émotion, porteur d’un humble trésor de compassion et d’empathie, pour transformer les désolations solitaires en tendresses partagées.

Gérard Tonneau Décembre 2017

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